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15 novembre 2008

Lettre ouverte à Mme Anne Lauvergeon PDG Areva

Pranles le 11 novembre 2008

Michel PONS
Le Pré
07000 PRANLES

à l’attention de
Madame la Présidente
du Directoire d’AREVA
33, rue La Fayette
F - 75442 Paris cedex 09
Courriel : press@areva.com


Objet : LETTRE OUVERTE D’UN BANAL CONSOMMATEUR D’ELECTRICITE.


Madame la Présidente,

La vision qui était la mienne de la première société mondiale ayant trait aux différents métiers du nucléaire civil, dont, Madame, vous présidez les destinées avec brio, se bornait jusqu’à présent au chapelet de centrales égrainées le long de la vallée du Rhône qu’il nous arrive de côtoyer et dont, par temps clair les panaches de vapeurs se perçoivent depuis nos hauteurs ardéchoises ; ainsi qu’à leurs factuels avatars particuliers engendrant l’agacement sinon l’irritation de certains de leurs riverains.
Grâce à la maîtrise du Groupe AREVA - de l’extraction du minerai dans les sites nigériens d’Arlit et d’Akokan, de sa transformation par la Somaïr et la Cominak jusqu’à son utilisation française pour la production électrique - vous m’offrez la possibilité de vous écrire cette Lettre Ouverte.
Madame la Présidente vous vous doutez certainement du pourquoi de ma correspondance. Il s’agit, bien entendu, des propos tenus par Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes lors du colloque sur « la sécurité économique » organisé par le Mouvement des Entreprises de France (Medef) le 21 octobre 2008 à Paris et plus particulièrement ceux tenus sur la situation au Niger et le positionnement – ou la proposition de positionnement – prôné par le représentant d’AREVA.
Soyons clair, mon propos ne se veut en aucun cas polémique et encore moins à résonance politique. Il est simplement l’expression à la fois d’une honte morale générée par un discours qui ne souffre, hélas, d’aucune ambiguïté et par voie de conséquence d’une profonde déception intérieure induite par le positionnement éthique qui est le mien.
Je m’explique :
Il y a des années, j’ai accompagné sur presque deux décennies (1974 - 1992) au Nord-Niger des projets de développement endogène initiés généralement par des populations touarègues parmi lesquelles il nous a été permis de vivre, appuyés par les services techniques départementaux et d’arrondissement. J’ai pu apprécier toutes les complexités et les difficultés techniques et relationnelles liées à des contextes particuliers. Pour la petite histoire, notre association d’entraide et de développement a même été délestée de plusieurs véhicules au cours de la rébellion des années 90. Cependant, quelles que soient les situations traversées, nous avons toujours voulu, au travers de notre travail et de notre présence, être au service des différents acteurs du développement et des différentes expressions de la société nigérienne.

Ceci étant dit, simplement, pour vous exprimer l’inquiétude grandissante qui est la nôtre au vu de l’évolution de la situation actuelle au Nord - Niger, que nous suivons avec beaucoup d’attention et de tristesse.
Or les propos tenus par Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes ne sont faits ni pour éclairer mon questionnement ni pour apaiser les choses dans un contexte général pour le moins tendu. J’avoue que je m’interroge sur les motivations profondes qui se cachent derrière les dits propos. Monsieur le Directeur les a-t-il tenus de son propre chef ? S’agit-il d’un simple dérapage verbal ? Doit-on entendre autre chose ? Sont-ils l’expression peu prudente de demandes extérieures qualifiées ?
Ayant une fort mauvaise connaissance du Groupe AREVA et aucune de Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes, j’ai dû rechercher sur internet des éléments objectifs afin de pouvoir me faire une opinion. A l’évidence, votre collaborateur, de par son parcours professionnel rigoureux et ses qualités intellectuelles affirmées, était à l’évidence qualifié au poste qui est aujourd’hui le sien.
Cependant, je le répète, les propos de Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes me heurtent au plus profond de moi-même. Je peux vous assurer qu’ils auraient été tenus concernant quelque autre groupe humain, de quelque culture ou fond religieux que ce soit, cela m’aurait tout autant choqué.
Je le suis d’autant plus que je ne retrouve pas ce langage martial dans la communication officielle d’AREVA. Celle-ci, bien au contraire, insiste sur des valeurs que je pourrais sans trop de difficultés – me semble-t-il - reconnaître comme miennes sans pour autant leur signer un blanc-seing définitif.
En préambule de la Charte des Valeurs d’Areva (page 2), vous exhortez l’ensemble de vos collaborateurs en écrivant, j’en cite deux extraits :
« … Elle repose sur la conviction que la performance économique est indissociable d'une éthique rigoureuse.
... Je compte sur chacun d'entre vous, quels que soient la société et le pays dans lesquels vous exercez votre fonction, pour mettre en pratique "Nos valeurs AREVA", en être le gardien et le promoteur. »
Considérez-vous, Madame la Présidente, que les propos tenus lors de cette réunion par Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes, sont en cohérence avec la Charte de votre Groupe ?
D’autant plus que cette charte est explicite et d’une transparence qui, a priori, ne saurait souffrir de quelque interprétation. Sauf si elle se trouverait inscrite dans une stratégie plus globale de communication apparentée à un rideau de fumée ; ce qui, pour l’instant ne me paraît pas devoir être ainsi considéré.
Deux exemples :
Au point 1 :
… Nous avons pour ambition d’obtenir le meilleur niveau de performances et de rentabilité en concevant, réalisant, commercialisant des équipements et services sûrs, compétitifs, respectueux de l'environnement et participant à l'amélioration du bien être des habitants de la planète. Tous les salariés du groupe concourent à cet objectif. Ils exercent leurs activités dans le cadre strict des lois des pays où ils interviennent et, de façon universelle, dans le respect des Droits de l 'Homme.
Au point 2 :
… L' honnêteté, l 'intégrité et la loyauté gouvernent en toutes circonstances les pratiques et décisions d'AREVA. Le groupe respecte scrupuleusement les lois et la réglementation des pays où il opère.
… Pour répondre à leurs attentes, le groupe cultive un esprit de partenariat fondé sur la solidarité, l'écoute et le dialogue. Dans ce cadre, il mène une politique visant à s’intégrer dans l'ensemble des territoires où il est présent. Elle repose sur le respect des cultures locales et la prise en compte des aspirations des communautés concernées.
De plus, le Groupe AREVA a souscrit pleinement, selon la présentation de la Charte des valeurs AREVA, aux 10 principes du pacte mondial de l’ONU, parmi lesquels je lis sous la rubrique Droits de l’Homme (page 12):
Principe n°1
Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’Homme dans leur sphère d’influence ; et
Principe n°2
à veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations des droits de l’Homme.
Je ne voudrais pas vous lasser avec des citations dont vous connaissez fort bien les différents contextes. Donc j’en resterai là.
Cependant, je le répète, il m’est difficile de cerner où se situent le lien, l’articulation et la cohérence entre les textes primordiaux qui fondent votre éthique et régissent vos faires, et les dires de Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes. Propos qui, sans beaucoup d’imagination, peuvent être appréciés comme pouvant être une incitation caractérisée à la haine et incitatifs à la violence. Quant aux « officines », je ne me prononcerai pas. Mais n’est-ce pas une exportation d’un concept américain de défense des intérêts stratégiques qui semblerait avoir été testé avec un certain succès en Irak. ? Voulez-vous en reproduire le modèle au Niger ? J’ose croire que non !
Que votre Groupe, à cause de l’héritage historique légué par la France et qui en partie devient le vôtre, se trouve au Niger pris entre « le marteau et l’enclume » cela n’étonnera personne. Les négociations concernant les accords pour l’exploitation du site uranifère d’Imouraren sembleraient en être à la fois une des conséquences et à la fois un des exemples. Et, il semble que le gouvernement nigérien fasse monter les enchères plus encore.
De plus le Groupe Areva est suspecté – à tort ou à raison – d’avoir favorisé l’une des parties en prenant position dans un conflit compris par le gouvernement nigérien comme étant de l’ordre purement de police. Déduction : vous vous seriez ingérés dans les affaires intérieures du Niger.
Sans oublier, que le marché concurrentiel de l’offre et de la demande est exacerbé par des puissances émergentes de plus en plus performantes avec des besoins énergétiques de plus en plus conséquents. De ce fait, elles deviennent de plus en plus agressives. Et là encore, vous seriez accusé par la partie nigérienne de vouloir les évincer.
Or la mémoire des peuples et/ou de ses dirigeants est loin d’être défaillante. Peut-être puise-t-elle aussi à une autre source qui inviterait à un retour de quelque 15 ans en arrière – lors d’une élection présidentielle - lorsque Monsieur Mamadou Tandja doit s’incliner devant Monsieur Mahamane Ousmane qui semblerait avoir été le favori des autorités françaises.
Il me semble qu’aujourd’hui, AREVA, ne serait-ce que pour protéger ses propres intérêts, aurait mieux à faire et à dire qu’envenimer une situation déjà exécrable. D’autant que vous avez, ou avez eu - selon les médias – des relations avec les responsables du Mouvement Nigérien pour la Justice contestant entre autres choses, la gestion actuelle des territoires et des richesses se trouvant dans le sous-sol et qui vous ont invités, certes de manière rocambolesque, à prendre en compte leurs souhaits au travers d’un message qui vous était co-destiné avec le Président Sarkozy.
Les violences ne peuvent entraîner que les violences. Et dans le tourbillon de celles-ci, généralement c’est la société civile qui paye directement ou indirectement un très lourd tribut : suspicions, enfermements arbitraires, exécutions extra judiciaires de suspects, massacres d’innocents, fuite des lieux de combats, déplacements de populations, réfugiés fuyant leur pays, destruction des outils de production, effondrement des circuits d’approvisionnement et de commercialisation, étranglement économique, etc … etc …
De même qu’un dromadaire restera le symbole de la lenteur s’inscrivant dans le temps alors que la puissance d’un Caterpillar signifie, elle, l’immédiateté du résultat ; de même les mains nues, de femmes, d’hommes, d’enfants, ne peuvent rien opposer sinon une condition bafouée s’enfonçant dans le silence du shéol avant d’entrer dans une mémoire communautaire en survie.
Or il m’insupporte de devoir moralement accepter de tels états de fait.
Alors, Madame la Présidente, utopie pour utopie, sans pour autant qu’elle soit béate, pourquoi ne pas entrer et mettre en œuvre une dynamique nouvelle pour que la Paix s’installe durablement ?
Mais pour cela, dans l’immédiat, ne faudrait-il pas, pour le moins et dans les plus brefs délais, que le Groupe AREVA désapprouve, voire condamne publiquement les propos tenus par Monsieur le Directeur de la Protection du patrimoine et des personnes … en considérant que, peut-être, il pourrait ne s’agir que ( ?!) d’un dérapage d’un langage engagé dont l’expression demanderait à être explicitée ?
Mais pour cela, faudrait-il, aussi qu’à court terme, les relations avec la République du Niger s’apaisent en proposant une autre forme de coopération, peut-être moins timide ?
Pourquoi pas la création d’un pool permettant la réalisation d’un vieux rêve, celui d’un chemin de fer désenclavant le nord du pays ?
Pourquoi pas induire la facilitation d’infrastructures routières pérennes dans l’Ayr?
Pourquoi ne pas encourager l’établissement d’Instituts universitaires ou technologiques dans la Région Agadès? N’y a-t-il pas eu de précédent avec la création de l’Emaïr (Ecole des Mines de l’Aïr) à Agadès ?
Pourquoi ne pas entrer en matière sur des accompagnements pastoraux, agricoles, artisanaux au Nord-Niger ?
Pourquoi ne pas favoriser au Nord-Niger les compléments d’infrastructures de santé manquantes et en prévoir une partie du fonctionnement ?
Que sais-je encore ?
Au final, de tels investissements, sans pour autant porter ombre à votre vocation économique première, ne seraient-ils pas plus productifs que l’encouragement – du moins verbal – des logiques d’affrontement et l’illusion d’une protection paramilitaire qui sera peu ou prou toujours porteuse de failles ?
Si les conflits ont des coûts astronomiques, la Paix, elle, au delà du slogan combien éculé, n’a pas de prix !
Madame la Présidente, je vais vous faire une « confession » : pardonnez-moi, je suis un incorrigible rêveur. Mais hélas, je sais fort bien que le rêve n’a pas sa place dans les problématiques qui sont les vôtres.
Pourtant dans chaque désert, il y a « un petit prince », « une rose », « un renard ». Faut-il encore vouloir prendre le temps de les voir afin d’éventuellement pouvoir les rencontrer !
En vous souhaitant bonne réception de ce présent courrier et dans l’attente de vous lire, veuillez accepter Madame la Présidente l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Michel PONS
Ancien agent consulaire de France à Agadès (1976-1977).
Chevalier dans l’ordre du Mérite National (1981)

P/o.
- Madame la Présidente du MEDEF
- Madame le Ministre de l’Intérieur.

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